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Charente (16) Vues anciennes - 58
Une Excursion à la Fosse Mobile
L. Bertrand, directeur d'école à La Rochefoucauld – (1920)
Peu de personnes en Charente ignorent qu’il existe entre En supposant, comme il est probable que le fond du
Beaumont d’Yvrac, La Rocbefoucauld, Vilhonneur, Pranzac, gouffre soit à 11 on 12 mètres au-dessous de l’eau,
Jauldes et Coulgens des dépressions de terrain curieuses l'ouverture de l’abîme serait donc à 34 mètres au-dessus
qui ont les formes de galeries, fosses, entonnoirs, du niveau de la mer; soit une différence de 20 mètres
gouffres et parfois même d’abîmes et que dans ces avec le fond du réservoir connu de la Fosse mobile. Il reste
excavations se perdent les eaux de la Tardoire, du Bandiat, donc encore des fissures inconnues qu’il faudrait.
de la Ligonne et de la Bellonne pour former la plus grande agrandir et déblayer; mais ce serait là un travail difficile,
partie des rivières souterraines. coûteux et aussi incertain que d’essayer d’enlever les
bouchons d’argile de la grotte de Rancogne.
Ces accidents proviennent de ce que les collines calcaires
jurassiques de l’oxfordien et du kellovien qui bordent, Longtemps on a eu peur de l’ouverture de la Fosse mobile.
surtout sur la rive gauche, le lit de la Tardoire et celui du Gauguié dans sa géographie de la Charente (1865), nous
Bandiat, sont formées de bancs de rochers qui reçurent en fait un tableau peu rassurant:
de violentes secousses après l’époque glaciaire.
“Figurez-vous un rocher énorme, creusé en are de cercle, de plus
Sur ces bancs fissurés, bouleversés, repose une couche de trente pieds de haut, servant d’ouverture au gouffre mystérieux
d’alluvions sables et galets représentant le vaste crible que l'œil n’ose pas sonder. Cette crainte n’est point chimérique car
sur lequel coulent entre Vilhonneur et Agris d'une part, nul pied humain n’a osé s’aventurer dans ces cavités inconnues; la
et entre Saint-Germain et le Mônat d’autre part, le Bandiat pente qui vous entraînerait au fond de l’abîme est tellement rapide
et la Tardoire. qu’il serait impossible au montagnard le plus exercé de se
maintenir un moment debout sur le sol. D’ailleurs, le peu que l’on
Par suite de l’infiltration des eaux, les sables et parfois aperçoit a travers la demi obscurité n’est pas fait pour engager le
quelques bouchons d’argile qui remplissaient les fissures visiteur à entreprendre ce périlleux voyage; on distingue en effet
ont disparu laissant libre accès à des courants qui ont une crevasse énorme qui déchire la montagne et sert d’ouverture à
produit des galeries horizontales, obliques ou presque un gouffre insondable. Les pierrés que l’on jette par cette ouverture
verticales. A mesure qu’ils se sont développés, l’action bondissent de roc en roc et longtemps le bruit de leurs chutes
des eaux sauvages a été plus grande et gênés parfois dans successives monte du gouffre aux oreilles; le son va diminuant.
leur course vers, la mer, ils ont créé des réservoirs graduellement d’intensité et s’éteint enfin sans qu’il soit possible
souterrains au- dessous de la couche des calcaires. C’est de dire si la pierre a touché le fond de l’abîme; quelquefois le
ainsi qu’on voit ces courants cheminer dans les grottes projectile produit au bout de quelques instants un bruit mat
comme à Rancogne ou dans les cavernes ténébreuses plaintif comme s’il tombait dans un lac souterrain.”
comme en forêt de Braconne et se terminer en lacs qui
alimentent de nouveaux ruisseaux sortant Ces lignes furent écrites avant l’exploration de la Fosse
miraculeusement du sol par de larges bouches. Telle est mobile en avril 1892 par M. E. Martel. Dans cette
la naissance de la Touvre qui a fait dire aux spéléologues première descente il visita deux bassins non étanches
français qu’elle est le type de la source vauclusienne. dont le dernier était à 42 mètres de profondeur: l’eau
qui remplissait le second l’empêcha d’aller plus avant.
Si l’on considère l’altitude des terrains compris dans la Le 27 septembre 1900, il fit une seconde descente et
zone de dislocation du sous-sol, on obtient pour le constata que l’eau avait disparu et il atteignit 54 mètres
gouffre de chez Roby sur le Bandiat 96 mètres, Vilhonneur en profondeur, mais il fut arrêté par des fissures
au bord de la rivière 96 mètres, Chez-Pourret 73, près impénétrables.
Chaufourgne et Chez-Lambert 77, les Ecures 64, sur la
Bellonne, le gouffre de Beaumont d’Yvrac 100 mètres et la Personne depuis n’avait songé à compléter les
Fosse Mobile 115; on constate que les eaux qui se perdent observations de M. Martel.
sont au- dessus du niveau de la Touvre qui sort près du
Au commencement de l’année 1919, deux jeunes gens
Moulin du Pontils à 46 mètres.
de La Rochefoucauld, MM. Besson et Pressicaud guidé par
M. Hodayer, eurent la volonté et l’excellente idée de
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