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Charente (16) Angoulême arrondissement - 41


                                                    La Région de Montbron           1

                                  Noël Sabord, Introduction au glossaire d'un sous-dialecte limousin

        1 Extrait de "Entre Tardoire et Bandiat: glossaire d'un sous-dialecte limousin précédé d'une Introduction géographique historique et linguistique",
        ouvrage qui doit paraître prochainement. L'auteur, M. Noël Sabord, a bien voulu nous communiquer l'Introduction et nous autoriser
        à y faire des emprunts pour les Etudes Locales. - Nous l'en remercions vivement.



        C'est dans le canton de Montbron que viennent mourir,        grasse et prenante en hiver comme une pâte rebelle, poudreuse et
        en mamelons arrondis chargés de chênes ou vêtus de           fuyante au printemps comme le sable ou la cendre, il faut la briser,
        bruyères, les dernières ondulations des monts limousins,     la moudre, la pétrir, l'étreindre, la travailler sans relâche de mille
        les terrains primitifs de schistes cristallins que le châtaignier  façons différentes, la surveiller, la connaître, la surprendre aux
        affectionne  et  dont  la  charrue  racle  et  soulève  les  jours où elle défaille et s'offre plus tendre et plus facile au tranchant
                                                                                                                     2
        "platines", les terres froides où pousse le seigle, où le maïs  de l'outil, l'attaquer au bon moment et de bon biais” .
        ne peut mûrir, où la vigne ne donne qu'un vin incolore
                                                                     Triste vie que celle du laboureur aux prisés avec cette
        et plat.
                                                                     terre malaisée, dénué d'argent et de lumières, attaché à
        Là commence ou plutôt s'annonce le "bas-pays", la terre      ses vieux outils, les mains rivées à son antique araire
        d'Angoumois qui s'étend vers l'Ouest en une zone claire      dont l'oreille est de frêne et les étèves en ormeau.
        et apaisée  de  terrains  calcaires  où  domine  l'oolithe  du
                                                                     Il ne lui manque rien d'essentiel cependant pour son
        jurassique  moyen  et  supérieur.  Et  cette  transition
                                                                     modeste  usage.  L'argile  ferrugineuse  ou  “terre  de  fer”
        géologique  qui  est  à  la  base  de  toutes  choses,  qui
                                                                     qu'on trouve en maint endroit et qui ne coûte que la
        conditionne le climat, la flore, la faune et l'homme même
                                                                     peine de la tirer du sol, fournit une bonne “terre à pot”
        nous explique autant et plus que les raisons historiques
                                                                     que, naguère encore, un vieux, potier de Maudeuil, près
        que nous trouvions là, aux confins de l'Angoumois chaud
                                                                     d'Eymouthiers, le dernier de l'espèce, moulait au tour en
        et riant, du Limousin froid et sombre, la limite de deux
                                                                     brocs poreux où l'eau, l'été se gardait bien fraîche et
        races,  de  deux  langages  et  pour  ainsi  dire  de  deux  prenait une saveur salubre; en buis pour l'huile de noix;
        civilisations.
                                                                     en tujadiers naïvement ornés d'arabesques en coups de
        En cette moyenne vallée de la Tardoire, le calcaire fut      pouce et qui pouvaient contenir dans leur panse rotonde
        providentiel à l'homme primitif, nu et désarmé, chassé       la lessive de toute une année.
        sans doute par le froid et les bêtes de la haute vallée se   C'est de cette même terre, mêlée de cailloux ronds, qu'on
        schisteuse et inhospitalière.
                                                                     fait  le  “sol”  battu  des  maisons,  l'aire  des  granges  où
        Aujourd’hui, cette même pierre, compacte et grenue, et       chantent encore les derniers fléaux, le mortier à bâtir.
        qui crie aigrement sous la scie du carrier, aux environs     De la plus grasse on se sert en guise de mastic pour
        de Vilhonneur, contribue encore à l'abri de l'homme. On      greffer en fente et pour étancher les vieux tonneaux.,
        en fait des seuils et des dessus de porte; des angles de
                                                                     La silice se présente sous forme de cailloux, de rognons,
        murs où on l'associe aux platins de schiste et aux rognons
                                                                     de “pierre de feu”. Après la "terre grasse" et les platins du
        de silex liés d'un mortier d'argile; des pierres d'évier que
                                                                     schiste, c'est le pire ennemi du travailleur. Elle traîne,
        polit et use le cul tranchant des seaux de bois; des piles   roule,. embarrasse ou ébrèche l'outil, entaille les pieds
        cubiques où s'abreuvent les bœufs et dont les parois,
                                                                     des bêtes. L'homme, après l'avoir recherchée pour sa
        sous  le  frottement  des  fanons,  deviennent  luisants
                                                                     défense et l'avoir fait servir à presque tous les usages de
        comme de la corne; enfin des pierres tombales où l'on
                                                                     la  vie,  la  maudit  maintenant  comme  importune  et
        grave un nom et un oremus, toit suprême sur un dernier       dangereuse.
        abri.
                                                                     Cependant,  il  en  tire  quelque  bienfait:  les  enfants  la
        Que le sous-sol soit de schiste ou de calcaire, la terre
                                                                     ramassent par les éteules à pleins paniers de vîmes et ou
        arable est toujours fortement mêlée d'argile et de silice
                                                                     la charroie au bord des routes pour s'acquitter de cette
        et le travail n'en est point aisé. C'est une:                survivance  des  “corvées”  haïssables:  les  prestations  ou
        “...terre malveillante et rude qu'il tant fatiguer et vaincre dans un  “journées de chemins”.
        perpétuel effort. Sèche et dur en été comme le sol des vieux chemins,  2 Noël Sabord, Le Buisson d'épines, roman (Paris, 1921, Grasset,
                                                                     ed.).

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