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Charente (16) Vues anciennes - 231

        chemins que le soir emplit de voix lointaines" comme
        l'a dit le poète.

        Certains  propriétaires  ont  planté  quelques  vignes,
        d'abord en plants américains, Noah, Othello, hybrides
        divers, puis ont abandonné; les quelques ceps en plein
        vent dans la plaine étaient la proie de tous les oiseaux
        du voisinage. La vigne demande trop de soins, le temps
        est précieux, les exploitants se sont spécialisés dans la
        culture des céréales et des oléagineux, quelques-uns dans
        l'élevage.  Le  matériel  moderne  ne  permet  plus  le
        "bricolage", seuls les grands espaces sont intéressants,
        même les jardins sont abandonnés, sauf par quelques
        retraités par-ci par-là, mais on sent bien que cela ne va
        pas durer.

        Seuls les octogénaires, lors de rencontres sur les lieux,
        parlent encore des vignes et des Gaboureaux édifiés par
        leurs  aïeux.  Chacun  de  ces  Gaboureaux  avait  son
        histoire, ses histoires, et surtout ceux placés le long des
        itinéraires conduisant aux foires et aux assemblées; ils
        ont rendu des services appréciables, les jours de pluie,
        aux  travailleurs,  aux  "cherche-pain"  qui  furent
        nombreux  à  un  certain  moment,  aux  réfractaires  et
        maquisards  en  d'autres  temps,  aux  braconniers  de
        toujours et aussi —

        pourquoi  ne  pas  le  dire  —  aux  amoureux;  bien  des
        jeunes ont connu là leurs premiers émois mais aussi,
        paraît-il, des adultes; selon les commères, certains de
        ces édifices ont abrité des ébats, pas toujours coupables
        d'ailleurs.

        On dit que des jeunes ménages étaient bien heureux de
        se rencontrer dans ces petites cabanes, car dans certaines
        familles, après le premier enfant, les parents exigeaient
        qu'ils ne dorment plus dans le même lit et tous dans la
        même pièce, les vieux, les jeunes et le rejeton.

        C'était l'époque du travail à outrance, du magot amassé
        sou par sou, du fils unique pour pouvoir arrondir le
        "bien" avec la fille unique du voisin.


        S'il est bien dommage que le paysage ait été tellement
        modifié,  par  contre  on  ne  peut  que  se  réjouir  d'une
        certaine évolution des mœurs.

         Revue de la Société d'Etudes Folkloriques du Centre-
            Ouest, tome XX, 8e livraison, N. 145, mars-avril
                            1988, pp. 524-527






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