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Charente (16) Angoulême arrondissement - 151
Le Pèlerinage de Puymerle
(commune d'Aussac)
Puymerle est une vaste clairière parsemée de chênes — toute la bohème — se dressaient des tentes, des
séculaires, gros comme des tonnes. Je les ai contemplés baraques, des loteries, auberges et cafés, les exhibitions
et interrogés souvent. Toujours imposants, toujours les plus curieuses et les plus variées.
silencieux quand le vent ne secoue pas leur vieille Chaque année, mes yeux d'enfant étaient émerveillés
couronne qui chaque jour se rétrécit et perd ses plus par quelques nouveautés inattendues. Mais ce qui me
beaux fleurons qu'emportent le temps et les tempêtes. frappait le plus, c'étaient les violoneux qui se
Quel dommage qu'ils ne puissent parler, ces géants de promenaient lentement, l'instrument sous le bras.
nos forêts! Ils narreraient de bien belles choses.
Contentons-nous d'arracher quelques-uns de leurs, Des couples s'approchaient, les accostaient et... en avant
la danse! Les bals s'improvisaient un peu partout; on
secrets et racontons ce que nous en savons.
jouait et on dansait sur dix points différents. Que
De temps immémorial, le 22 mai de chaque année, se d'idylles commencées en ce lieu et en ce jour se sent
pressait à Puymerle, une foule bariolée et grouillante, terminées par d'heureuses hyménées!
accourue de plus de trente kilomètres à la ronde au
Les temps sont changés. La frairie existe toujours. N'y
rendez-vous de la contrée. C'est que Puymerle possède
viennent que les habitants de la commune et des
un puits dont l'eau jouissait jadis de propriétés
localités avoisinantes. Il est fâcheux que disparaissent
miraculeuses. Elle guérissait “des douleurs”. Il suffisait
certaines mœurs et coutumes populaires d'antan…
d'en mouiller un mouchoir blanc comme neige, d'en
frotter la partie malade, puis de faire une invocation
ardente dans la petite chapelle voisine, et, comme par
Etudes Locales, 11e année, n. 101, mai 1930,
enchantement, le mal disparaissait aussitôt ou peu après.
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Seuls ne guérissaient pas ceux qui ne savaient pas prier
avec ferveur.
Ce puits se trouve au bas de la partie déclive, à la
naissance d'un petit val. Le fond, large excavation sur
roche corallienne, constitue un réservoir qui se remplit
l'hiver et doit, en été, suppléer à l'insuffisance de la
source. Tout près, la chapelle, à demi-ensevelie sous le
lierre, les clématites et les ronces; quelques maigres
arbustes végètent sur la voûte. Un sentier herbeux y
conduit Au levant, une porte basse en est l'unique
entrée; deux étroites ouvertures, en forme de créneaux,
laissent pénétrer l'air et la lumière, un demi-jour blafard
et mystérieux. A l'intérieur, le nu: des murs décrépits,
aucun ornement aucun autel, plus rien de sacré, tout a
disparu.
Et pourtant le puits et la chapelle ont autrefois cornu le
frémissement des foules accourues en pieux pèlerinages.
Le pèlerinage était l'occasion de la frairie. Dans cette
immense clairière retentissaient tambours et clairons,
vielles et orgues de Barbarie. Partout, au choix des
forains, des hercules de foire, des bonneteurs , des
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promeneurs d'ours et de singes grimpant dans les arbres
1 Bonneteau, jeu de cartes qui consiste à duper le parieur par de
rapides interversion de trois cartes.
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