Page 107 - Canton_Mansle-0-wn
P. 107
Charente (16) Vues anciennes - 107
La croyance aux loups-garous a été longtemps respectée si on était "ensorcelé", lui seul pouvait guérir et il fallait
à Aunac et y trouve encore même des apôtres. Il y a souvent porter des “Louis d'or à la lunette”, sur la tombe
encore des familles qui souffrent de cette absurdité. la plus fraîche du cimetière ou sous une racine de vieux
Quand les enfants veulent se marier, leur reproche d'être chêne, à la Garenne.
de famille de loups-garous. N'exagérons point pour
Tant pis si les Louis restaient: le malade ne guérissait
pourtant: on n'en parle plus que le sourire aux lèvres;
pas.., mais ils n'y restaient jamais. Seulement le mal
mais il est certain cependant que cela jette une défaveur
sur quelques familles: seulement on sent bien que cette revenait souvent, et le sorcier avait fort à faire. La
croyance à un pouvoir surnaturel attribué à cet homme
superstition s'en va vite. On m'a raconté qu'un loup-
l'avait fort mis en clientèle pour la guérison des bestiaux.
garou , qui prenait habituellement sa peau de bête dans
Au plus beau temps de sa prospérité comme on le payait
le tronc creux d'un noyer y avait laissé sa veste. Cette
veste ayant été retrouvée là, on pria le curé de la paroisse en blé, il avait deux greniers l'un à Couture, l'autre à
Rochefort , et il y entassait, assure-t'on, plus de cent
d'annoncer que ce vêtement était mis à la disposition de
boisseaux de blé Ce vétérinaire là aimait à boire et le
son propriétaire, mais le loup-garou, pour ne pas se faire
langage local s'est enrichi grâce à lui de ce dicton:
connaître, se garda bien de réclamer sa veste. On dit
aussi qu'un jeune homme des environs, allant voir une "Buvons un coup, nous verrons la bête après." C'était
ce qu'il disait quand on lui proposait de rentrer, dans
jeune fille qu'il désirait épouser, fut arrêté en route par
l'étable pour visiter un animal malade. On pourrait citer
une bête, un loup-garou, qui porta la patte au pommeau
des personnes à qui il avait fait perdre la raison en
de la selle de son cheval. Le cavalier tira son couteau et
coupa la patte qui se trouva être une main humaine. frappant leur imagination Ce triste personnage est mort
misérable car son pouvoir était méconnu dans les
Arrivé chez la jeune fille, il apprit qu'elle était souffrante
dernières années de sa vie. Mais on parlera longtemps
et au lit; avec la permission de la mère, il s'approcha du
de lui encore à Aunac, et son nom seul fera trembler les
lit de la malade, et voulut lui toucher la main; il ne prit
qu'un moignon; c'était la main de la jeune fille qu'il avait petits enfant assis sur les genoux ,de la vieille grand-
mère racontant l'histoire du sorcier.
coupé dans sa route. Cette jeune fille "courait le loup-
garou". La personne qui m'a conté cela et en qui j'ai la Bulletin Départemental de la Charente, Études
plus grande confiance m'a dit “Je l'ai ouï dire bien Locales, 1re année, n 3, juillet 1920, pp. 27-30.
souvent à ma mère. - Et croyait-elle, votre mère, à ce
qu'elle racontait là?” lui ai-je dit, car tout l'intérêt de la
chose consiste à savoir si c'était comme passe-temps
qu'on rapportait cela ou comme histoire à laquelle on
accordait encore créance, il y a 30 ans. Elle m'a répondu:
”Ma conviction est qu'elle y croyait”. Le seul moyen de
guérir de cette affliction était de se faire blesser de
manière que le sang coulât. Aussi. les vieilles gens disent
que le loup-garou s'avançaient vers ceux qui les
menaçaient, pour être touchés par leur arme.
Un habitant de la commune, mort il y a environ 25 ans,
a exercé sur la population ignorante pendant de longues
années, une véritable fascination. Il était "sorcier".
C'était là un pouvoir fort lucratif qu'il cumulait avec celui
de vétérinaire empirique. Mais qu'on ne s'y méprenne
pas, ce n'était pas là un sorcier vulgaire. Il a eu vraiment
de la célébrité. Il s'entourait de mystère, de livres écrits
en langues mortes, de drogues de toutes sortes et faisait
merveille, au dire des voisins. On assure que des gens
de loin, même des étrangers au département de la
Charente, venaient le consulter. Il a fortement contribué
à la ruine de certaines familles qu'on pourrait citer; car,
© CatillusCarol.Corp