Contribution à l'Etude
des Noms de Lieux de la Charente
par G. Delage
Contrairement à l'usage du Moyen Age, qui veut que les gens portent les noms des lieux
qu'ils ont habités, beaucoup de "villages" charentais portent des noms de personnes. Pour certains
d'entre eux, répartis dans 80 communes de notre département, j'ai trouvé la preuve qu'à
une époque déterminée ils étaient habités par des gens partant le même
nom.
Ainsi, des Marthonneau vivaient au village des Marthonneaux d'Agris, des
Rochier aux Rochiers de Balzac, des Savarit à Chez-Savarit de Bécheresse, des Gabloteau aux Gabloteaux de Juillac-le-Coq, des Seguin aux Seguins de Ruelle, des Brebion aux Brebions de Brie-La Rachefoucauld, des Blancheteau aux Blancheteaux de Champniers, etc.
Certains villages ont changé de nom et on sait parfais dans quelles circonstances et à quelle époque.
Ainsi, le village de Chez-Bouny (ou mieux Chez-Bonnin), commune de Pranzac, a pris le nom de la famille
Bonnin qui l'habitait au XVIe siècle. Auparavant, le village portait le nom de Beauregard. Le village des Mullons, à Saint-Brice, n'a pris ce nom qu'à la même époque par suite
de la venue des frères Mullon. Le nom primitif du village,
"Dorville", subsistait cependant au cadastre de 1820
dans le nom de lieu-dit "Les Prés-Dorville".
Bourrisson, à Voeuil-et-Giget, porte le surnom de Jean Brisset dit Bourrisson qui habitait alors le moulin de Roussillon au XVIe siècle. Au siècle suivant
le moulin n'était plus habité par des Bourrisson,
mais les nouveaux habitants avaient changé le nom de Roussillon par celui de Bourrisson, nom qui est resté
ensuite. A la lin du XVIIIe siècle, Pierre Guynefolleau vint s'installer dans la commune de Lagarde-sur-le-Né. Il fut convenu que le village s'appellerait "dorénavant" le "Maine-de-Guynefolleau", nom qui
s'est, par la suite, transformé en "Chez--Guynefolleau".
Le village "Sou" à Chazelles devint "Chez-Berry" au XVe siècle car le maine fut arrenté à Berry. Les Bournis à
Garat s'appelaient autrefois "Le
Dognon". Mais au XIVe siècle,
les terres de ce village furent arrentées à Pierre
et Guillaume Bournis. Le nom ancien fut remplacé par
celui des nouveaux habitants.
Certains villages portent le nom de localités parfois très éloignées et on peut en
donner une explication. Le village de Moulidars commune de Bors, canton de Baignes,
porte le nom du chef-lieu de la commune de Moulidars, canton
d'Hiersac. Au XVIIe siècle, un seigneur de Moulidars, canton d'Hiersac, faisait bâtir un château à Moulidars canton de Baignes. Le nom du village de Méré, à Bouex, vient de l'île d'Oléron. Un seigneur
de Méré (île d'Oléron) était devenu propriétaire de ce village, dont le nom, au XIIIe siècle, était "Le Breuil".
Le village de La Couronne, à Marthon, canton de Montbron, a appartenu à l'abbaye
de La Couronne canton d'Angoulême
Les villages charentais dont le nom commence par "Chez"
sont nombreux. Pour certains d'entre eux, on peut assister à la naissance ou à la disparition de
ce terme. Les Gauthiers à Chadurie, en 1531, étaient devenus Chez-Gauthier en
1604. Cette dernière forme est le nom actuel du village. Les Maurins à Moulidars en 1531, sont devenus Chez-Maurin. Les Magniers
en 1709 et les Mercerons en 1699, sont devenus par la suite
Chez-Magnez et Chez-Merceron commune de Saint-Bonnet. Mais Chez-Moreau, à Vindelle, en 1903, a suivi une évolution
inverse puisqu'on dit aujourd'hui Les Moreaux. On a hésité
souvent sur la forme à employer puisque les noms de villages commençant par "Les", "Le"
ou "La" sont au moins aussi nombreux que ceux commençant
par "Chez". Un exemple de cette hésitation
nous est fourni par un village de La Rochette. On disait "Les Pistres" en 1622, "Chez-Pître" en 1752 et de nouveau, "Les Pitres"
aujourd'hui.
Pour quelques villages seulement, je n'ai pas pu prouver que des gens du même nom habitaient le village mais
j'en ai trouvé qui vivaient dans les environs immédiats comme à Chez-Couprie de Brie-La Rochefoucauld, à Chez-Bruchier de Montbron,
aux Michelots de Saint-Sornin...
Parfois le nom des habitants et celui du village ne sont pas exactement les mêmes. Mais ils se ressemblent
tant qu'on est conduit à faire un rapprochement et à en conclure que le nom du village dérive
de celui des habitants. Arnaud Petit vivait à La Petitie de Bouex, Pierre Auger à l'Augerie
de Bonneville, Chesnel, chevalier, à Château-Chesnel de Cherves-de-Cognac, David
à La Davidie de Gardes, Joubert au Maine-Joubert de Charmant.
Des villages où habitaient des gens du même nom ont disparu. Certains ont peut-être vraiment
disparu. Mais d'autres ont pu changer de nom par la suite. D'ailleurs, il arrive que le cadastre conserve ces noms
de villages disparus dans des noms de lieux-dits. Parmi ces villages disparus, on peut citer Les
Gauvrys à Mornac où
vivaient des Gauvry en 1579, Les Godauds à Brie-La- Rochefoucauld où vivaient
des Godaud en 1644, les Boullettes à Angoulêrne où vivaient en 1544
Jeanne et Toinette Boullet, ce qui permet de comprendre le féminin du nom de lieu.
J'ai ajouté à tous ces noms de villages des noms de lieux-dits dont on peut expliquer l'origine.
Beaucoup de ces noms ont d'ailleurs disparu. Mais la façon dont ils ont été créés
peut aider à comprendre l'origine de ceux qui restent
Les bouleversements de la Révolution de 1789 peuvent expliquer la disparition de ceux qui rappelaient le
nom des anciens propriétaires. L'abbaye des femmes de Saint-Ausone d'Angoulême possédait le Bois de Saint-Auzonne à
Marillac, le Plantier des Dames à Ruelle, la Prise des Dames à Saint-Yrieix, le Plantier des Dames à Champniers,
la Prise des Dames à Dirac, le Moulin des Dames à Angoulême... Les Révérends Pères Carmes
de La Rochefoucauld possédaient le Pré des Carmes à Marillac.
Comme pour les noms de villages, on trouve des noms transplantés. Le lieu-dit "Chaumontet" à Asnières (cadastre de 1829)
s'explique puisque la métairie de Chaumontet à
Asnières, en 1628, était la propriété
du Sieur de Chaumontet, de L'Isle d'Espagnac. Le lieu-dit "Maine-Gagniaud" à Champniers (cadastre de 1824) s'explique aussi puisque, avant 1755, cette "prise" était la propriété du seigneur du Maine--Gagnaud, commune de Ruelle.
Le lieu-dit a souvent pris le nom du propriétaire. Ainsi Goyon est propriétaire au Clos-de-Goyon à
Agris, Lilaud
au Bois-de-Lilaud à Chazelles, Sirier au Champ-du-Syrier à Coulgens, Broussard à La Vigne-de-Broussard, à La Rochette, Béchade
à La Charmille-à-Béchade à Montbron...
Parfois, c'est la profession d'un propriétaire qui a donné son nom au lieu-dit. Léonard
Paulte, tailleur d'habits, est propriétaire à La Prise-du-Tailleur à La Rochefoucauld. Dans la même paroisse,
Jean Gautier, éperonnier, est propriétaire d'une
partie au moins de La Prise-de-l'Eperon.
Il est possible de faire, comme pour les villages, un rapprochement entre le nom du lieu-dit et celui du propriétaire.
La Prise-de-la-Chantrerie, à Angoulême, est au grand chantre de la cathédrale. Grignon
est propriétaire à l'ouche de La Griniorie à
Brie-La Rochefoucauld; Jaubert à La Roche-Jaubert à Garat; Pintaud à La Pintade à Rivières.
Enfin, un nom peut en éclairer un autre. A Rivières,
en 1758, le Mas-de-la-Justice comporte la Prise-des-Fourches-Patibulaires, ce qui semble bien indiquer qu'à cet endroit on procédait aux exécutions en usage
à l'époque.
Il est bien évident qu'un tel travail serait sans valeur si les preuves de toutes ces affirmations n'étaient
fournies. Elles suivent donc. J'ai classé tous les noms de lieux cités par commune. Pour chacun d'entre
eux, j'indique d'abord la date du document utilisé. Viennent ensuite le nom de lieu et des explications,
puis les références permettant d'identifier rapide-ment le document utilisé.
Il est bon de préciser que j'ai employé le mot "village" comme on l'a toujours fait dans notre région depuis des siècles. Mais il faut signaler
qu'en Charente, un hameau (ou même un écart d'une
ou deux maisons) est un village. Dans chaque commune, il y a le "bourg" qui est le chef-lieu, et tout
le reste, hameaux et écarts, ce sont des "villages".
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